tempus veritas

C’est pas la première fois qu’il franchit le seuil de cette boutique, pour la simple et bonne raison que la propriétaire a un sacré passif avec sa (feu) tante, qui était en réalité la meilleure amie de sa mère. Révélation à ses vingt-trois ans, alors que pendant des années, il y avait cru comme jamais. C’est peut-être même cette naïveté qui lui fait retourner ici, dans les entrailles d’un Cherrytown qui ne parvient qu’à lui refiler la nausée. “Oh, un fantôme !” laisse échapper l’étrange personnage qu’est Mme Brejchá en le voyant débarquer. “Yo,” laisse t-il échapper sans se laisser entraîner par son humour douteux. Il n’a même pas le temps d’arriver jusqu’à elle - il faut dire que sa foulée n’est pas celle d’un athlète ce jour-là - qu’il y a comme une résignation fataliste en écho : “Ah, laisse donc, je sais ce dont tu as besoin.”

Et il est ressorti même pas dix minutes plus tard avec un numéro griffonné sur une carte, dont l’utilité lui a été révélée non sans lui conseiller de penser très fort à la personne qu’il voulait contacter. Pas d’autres contre-indications, si ce n’est de ne pas s’inquiéter d’un léger contrecoup ; ce qu’il admettrait savoir gérer, au vu de sa dernière crise nocturne. On lui a pourtant toujours apprit que le spiritisme n’était pas un jeu, que ce n’était pas le téléphone. Alors que c’est précisément ça qu’il allait utiliser pour appeler une défunte aimée, pour cueillir des conseils ou une voix pour le rassurer, là où il n’y en avait plus vraiment pour le faire.

Y’a eu trois jours de battement.

Entre temps, il reçoit des nouvelles du bon plan pour se motoriser à nouveau, qui lui aussi finira par devenir réalité. Il sait pas dire si ça le soulage ou si ça l’inquiète, de se réapproprier la vitesse, dans l’état où il est. Il ignore que ça lui fera le plus grand bien, lorsqu’il compose le numéro après avoir pleuré comme un enfant pendant dix minutes. Et si ça marchait pas ?

Il se tient la tête d’une main quand il arrive à franchir le pas, collant son smartphone à l’oreille.

Y’a des bruits caverneux, des choses peu intelligibles qui s’entremêlent, comme si on balayait plusieurs fréquences radio en essayant de trouver celle qui voudra bien de lui. C’est précisément quand Cecil lâche du lest sur sa pseudo-concentration, laissant ses épaules s’affaisser, qu’une brèche s’ouvre et il entend son prénom prononcé clairement. “Maman ?” répond t-il instinctivement, car c’est sa voix qu’il entend. Contrairement à bien d’autres, il devrait là aussi savoir que les morts ont besoin de repos, et qu’il ne vaut mieux parfois pas savoir dans quelles eaux des Enfers ils s’étaient noyés. Ses mains sont glacées. “…reviens… vite… jetaime” il se sent con de ne pas réussir à parler, la gorge bloquée dans un sanglot impossible à réprimer. Et puis y’a une plainte viscérale qu’il laisse échapper : “Dis-moi, dis-moi quoi faire, je sais plus, j, je… - …respire-- Connor… là - Quoi… ?” il entend un homme hurler, comme si sa fréquence à lui voulait grignoter l’autre. “M-Maman ? Tu m’entends ? Mam- - Casi… no Shepard”

C’est la dernière chose qu’elle a dite, et tout ce qu’il reste, c’est une fatigue doublée d’une envie de vomir soudaine et maladive. Le non sens de ce qu’il vient de se passer lui étouffe la psyché. Le numéro raccroche de lui-même, alors que Cecil s’efforce de moins penser à ce que son corps lui crie, plutôt que ses pensées.

Demain, il a une Yamaha à récupérer — et il sait pas qui est Connor, ni Shepard.