take me to church (tina)

Je vais probablement divorcer. Cette phrase, lancée d’un ton égal entre deux verres à moitié vides, aurait pu faire ciller Castiel, qui restait pourtant silencieux. Il ne savait pas réellement s’il devait feindre la surprise ou attendre une chute qui ne venait pas à cette histoire aux mille rebondissements ennuyeux. Son regard d’encre fixé sur son frère, il se contente d’un signe de tête, pour l’encourager à parler ou, encore mieux, à se taire. Nathan. Il avait lutté longtemps contre le dédain que ce simple nom suscitait chez leur paternel, comme la déception d’une éducation ratée. Il avait essayé, longtemps, de le comprendre, de lui donner une chance, mais Gidéon, tout comme pour le reste, avait fini par l’influencer assez pour qu’il le croit, lui aussi, incapable de prendre une seule bonne décision. Le fait qu’il l’ait pris sous son aile, outre la conservation de la réputation des Ó Murchú - déjà bien entachée par la disparition de Phoebe - ne résultait que du besoin de l’aîné de garder un œil sur lui. Comme le disait très bien le chef de famille, il n’y avait rien de plus stupide qu’un homme de pouvoir qui ne savait pas ouvrir les yeux.

Une heure plus tard, il était toujours là, assis au comptoir du Tartarus, perdu dans ses pensées. Il s’en laissait peu le privilège, courant régulièrement après le temps. Le siège à côté du sien avait été déserté depuis longtemps, son frère ayant cédé trop vite face au mutisme de celui qui lui ressemblait trop et encore pas assez. Sa femme méritait mieux que lui. Depuis le départ, c’était un état de fait qu’il avait partagé avec Hécate. Il ne comprenait pas que la brisure ne se soit pas produite plus tôt, avant l’enfant, avant l’emprisonnement. Il se félicite, Castiel, d’avoir échappé au désastre et de ne pas s’impliquer assez pour le prendre pour sien, se contentant d’observation comme un spectateur peu investi. Il a toutefois de la peine pour celle s’étant retrouvée au milieu du tumulte, cette belle-sœur pour qui il a bien plus d’affection que son propre sang.

C’est à ce moment que son œil capte un mouvement, une silhouette. Il apprenait depuis son plus jeune âge à connaître tout en restant en retrait. C’était bien là la difficulté quand son instinct le pousserait dans la tourmente au point de s’en brûler jusqu’à l’âme, de rester celui qui sait, qui voit et qui n’attire pas l’attention. Il apprenait à devenir Gidéon et même s’il ne l'admet pas facilement, c’était là la meilleure manière de rester en vie dans les sombres histoires d’Exeter. Tout en observant l’homme qui passe à proximité du bar, et la femme qui le regarde évoluer dans le club modérément rempli, Castiel tente tant bien que mal de ne pas penser au fait qu’il a déjà trahi son intelligence avec Basil.
A la place, il se dirige vers Tina, dont la présence se détache, brillante malgré la foule. Il était temps pour lui de faire courir son radar ailleurs qu’au sein de sa propre famille, ça vaudrait mieux pour tout le monde.   “C’est Don Mattheson.” Il ne le connaissait pas personnellement. Après tout, l’influence de Castiel se trouvait ailleurs, mais il préférait ne pas être surpris, précisément par des scènes comme celles-ci.   “ Tu le laisses aller et venir. Pourquoi ?” Tina n’avait aucun compte à lui rendre, c’était un fait, et ce n’était pas le sens de son interrogation. La curiosité, cependant, prenait le pas sur le reste, lorsqu’il s’agissait des membres du gang. Il se tendait presque instantanément face à la présence de Cyclops, il n’y pouvait rien, et il savait que Tina partageait son animosité. Assez curieux, donc, pour lui, qu’elle laisse errer Don en toute impunité dans le club qui lui appartenait.

Castiel n’avait aucun doute quant au fait que la sénéchale pouvait s’avérer aussi retorse qu’il pouvait bien l’être lorsqu’il avait une idée en tête qui ne saurait s’en déloger sans qu’il prenne action. Il se demandait, ce soir, s’il s’agissait de ça, s’il était en train d’intervenir dans une situation millimétrée au moment près ou s’il pouvait se permettre de lui proposer son aide. “ Est-ce que tu as envie de compagnie pour le sortir du club ?” Il partait d’une évidence, qui n’en était peut-être pas une, qu’il s’agissait là bien de son désir. Il n’y avait pourtant pas un million de façons de connaître la vérité sans la soutirer de force, et le demander, fut-il de cette manière détournée, était probablement la meilleure alternative.

Le country-club avait certainement vu Castiel plus souvent que le Tartarus, même en soirée, et pourtant, il trouvait dans les moments qu’il y passait le confort qu’il recherchait. Ce n’était pas vraiment similaire, il sentait qu’ici, il n’était plus obligé de se priver d’être lui-même, à s’accrocher à des convenances peut-être trop obsolètes. En un sens, il se sentait bien mieux compris en ce lieu qu’ailleurs, mais après tout, ce n’était pas un secret qu’il fût entouré quotidiennement de rien d’autre que de requins. C’était aussi l’occasion pour lui de ne pas se fermer au monde, ignorer l’existence de ceux qui ne lui ressemblaient pas le ferait au mieux, mourir ignorant, au pire, mourir tout court.
Désormais aux côtés de Tina, il s’était momentanément détourné de ses songeries pour lui offrir un sourire qui, pour une fois, n’était rien d’autre que sincère, malgré ses interrogations. “Un whisky. Neat. Je te remercie.” Il se montrerait patient si c’était le prix à payer pour avoir ses réponses, et il y avait pire façon d’attendre qu’aux côtés de la jeune femme.

Son regard suivait toujours Don, alors que Tina prenait de nouveau la parole. Ses sourcils se froncent légèrement face au refus mais il hocha la tête. S’il se trouvait là, c’est qu’il en avait le droit. Bien entendu, il n’y avait pas de règle véritablement écrite sur qui pouvait, ou ne pouvait pas, franchir les portes du club, mais la plupart des autres clans savaient s’en tenir à l’écart, du moins en apparence. C’était ce qui intriguait le plus Castiel, en réalité, maintenant, face à l’homme qui ne se cachait pas vraiment face à tous les potentiels qui pourraient l’en évincer - mais jamais sans l’accord de la gérante, bien entendu.
L’adage offert en récompense pour son attente le fit réfléchir un instant. Bien sûr, il serait hypocrite de le remettre complètement en question alors que c’est exactement ce qu’il s’était donné comme excuse pour impliquer Basil dans la recherche factice du contrefacteur.  Il aurait dû s’en tenir loin, laisser les choses se faire, pour qu’un jour peut-être, la vérité soit découverte. Mais Castiel était assez conscient des réalités pour laisser réellement des affaires importantes aux mains de la police de la ville. Non pas que ça lui serve, pour l’instant, mais ses tactiques étaient de longue haleine, son plan finirait bien par porter ses fruits, ou lui-même ne saurait se retenir plus longtemps de lui arracher la vérité.

Le fait était qu’il n’en restait pas moins à moitié d’accord avec ce dicton, et pour cause : il avait bien trop à cacher pour que l’idée soit purement ingénieuse, de son point de vue, et sans doute que Tina aussi, concernant le Tartarus. “Je ne sais pas … Tout dépend à quoi il a accès, je suppose.” ça, Castiel pouvait l’admettre, s’il restait à l’étage principal du club, il n’y avait sans doute rien à perdre. C’était s’il s’aventurait dans les étages qu’il pourrait porter préjudice à la patronne du lieu, ou même aux membres de l’Eglise. Tout comme il ne laisserait pas ses détracteurs mettre les mains sur les lieux privés du country-club, il espérait que ce soit aussi le cas de Tina. Ce n’était pas vraiment Don en lui-même qui l’inquiétait, mais tous ceux qu’il ne voyait pas. Alors il haussa les épaules. “ Je ne le connais que de réputation, mais je n’ai jamais eu de très bons rapports avec les Cyclops. Leurs activités sont mauvaises pour mes affaires, celles de mes clients, pour être précis.” Et au-delà de ça, ceux qu’il avait rencontré personnellement ne lui semblaient rien d’autres que rustres, il ne les portaient donc pas dans son cœur. Non pas qu’il se décide à les attaquer pour cette raison, mais il était loin de s’en faire des amis.

Un silence s’ensuivit avant que Castiel ne reprenne la parole. “J’ai appris pour l’attaque. Rien à déplorer ?” Il n’était pas là le jour-même et ne s’était pas rendu au club pour un temps avant ça, mais les informations se propageaient vite, que ce soit au country-club ou dans sa propre famille. Il n’aurait su dire s’il l’avait appris par un biais ou par l’autre, d’ailleurs. Pour ça, il était sincèrement désolé de ne pas l’avoir su assez en amont pour apporter son aide.